C’est en 1977 que nous sommes nés en tant que groupe … A l’époque, nous étions trois. Nous partagions la même passion pour le synthétiseur et fréquentions la même école supérieure. Le nom de notre groupe, AGE, vient des initiales de nos prénoms : Alain, Guy et Emmanuël. Aucun rapport avec le mouvement ‘ New Age’ dont on ne parlait pas encore à l’époque. Alain a très rapidement décidé de suivre un chemin plus personnel. Nous (Emmanuël et Guy) avons continué. Nous avons également décidé de garder le nom. Et en 1980, notre premier vinyle sortait. Mais ne brûlons pas les étapes …
Klaus Schulze est, avec Tangerine Dream, lié à notre décision d’acquérir notre premier synthétiseur.
Un Roland SH-3 A pour Emmanuël et un Roland SH-5 pour Guy. D’autres claviers et appareils annexes, tels que séquenceurs, chambres d’écho à bande magnétique, table de mixage, enregistreur 4 pistes …, ont rapidement suivi.
Nous avons constitué un petit studio autonome en l’espace de deux ans.
En 1979, notre première œuvre complète était achevée et les influences de K. S. y étaient évidentes. Elle portait le titre de ‘Vloed en Ebbe’, ce qui signifie ‘Flux et Reflux’ en français. Nous ne l’avons pas publiée. C’est à cette époque que nous avons échangé du courrier avec lui. Et nous l’avons rencontré pour une interview vers le milieu des années 80 lors d’un concert en Belgique.
Notre style musical s’est assez rapidement précisé et notre premier vinyle ‘Landscapes’ (pour rappel, sorti en 1980) en est un bon exemple. Nos goûts musicaux initiaux, plutôt pop pour Emmanuël et classique pour Guy ont interagi. L’un a contaminé l’autre et inversement, ce qui a donné comme résultat un vinyle aux plages diverses, alliant une musicalité encore hésitante et une majesté encore très étriquée, avec un soupçon de délire sonore … Tout devait être enregistré et mixé en 3 jours et le technicien n’avait aucune expérience de ce type de musique. Les deux vinyles suivants furent les derniers enregistrements effectués hors de chez nous.
En 1985, notre première production maison sortait sur cassette longue durée, elle portait le titre de ‘Symphonie pour la Terre et la Mer’. Durant ces premières années, nous travaillions également avec un batteur, Marc. Il enregistra encore ‘Escales’, notre premier cd qui parut en 1990. Ensuite, nous sommes revenus à la formule à deux.
Au départ, nous étions fascinés par les instruments. Le Big Moog du Maître, ses câblages, les diodes, les multiples claviers, … tout cela créait un monde musical qui semblait animé d’une vie propre, comme nous l’écrivions plus haut.
Nous avons utilisé de nombreux claviers et appareils annexes, souvent influencés par ce que nous entendions sur disques. Deux exemples parmi tant d’autres : ‘Time Wind’ qui faisait la part belle à l’ARP 2600, de même que ‘Green Ray’ de Zanov. Cela nous suffisait pour idéaliser cet instrument.
Avec les années, nous avons changé cette politique. Au départ, notre musique faisait entendre nos instruments. Aujourd’hui, ce sont les instruments qui font entendre notre musique. ‘Entropie’ illustre bien cette évolution. Nous l’avons composé et joué pour plus de 90% sur un seul instrument, le PA 500 de Korg, un clavier avec presets, accompagnements automatiques et haut-parleurs incorporés. Un instrument que l’on imagine plus sous les doigts d’Oncle Albert qui sonorise un bal populaire ou une soirée de mariage champêtre. Nous en avons tiré un morceau de plus de 45 minutes où on dérive aux confins de l’espace dans un univers dont les composants sont des entrelacs sonores.
Les douze productions qui ont précédé ‘Entropie’ couvrent une période de près de 40 ans durant laquelle cette évolution s’est faite. Les instruments se sont succédés à mesure que nous affinions l’outil musical. Les capacités techniques, la renommée du modèle, la mode qui consacre tel ou tel clavier, … nous ont souvent déçus. Nous sommes revenus depuis à une formule très simple : de quoi a-t-on besoin ? Plus jeunes, nous avions besoin de ce qui était utile à notre fascination technologique, voire à notre narcissisme instrumental. Aujourd’hui, nous avons besoin de ce qui est utile à notre musique.
Les 4 productions qui ont suivi ‘Entropie’ marquent l’aboutissement non pas de notre évolution, mais bien de ce tri de matériel. Parallèlement, nous allons à présent vers des enregistrements plus homogènes du fait que la musique prime le matériel. Dans ces quatre dernières productions, seul ‘Lost in Silence’ pourrait être vu comme une exception. Ce cd est l’enregistrement en studio d’un programme donné lors de concerts aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne. Il présente une relative homogénéité de style, malgré les ambiances très diverses. C’est un peu comme un long voyage où les paysages les plus variés se dévoilent. Notre premier cd, ‘Escales’ (1990) affichait déjà cette volonté, mais il alignait plutôt des instantanés, des photos de voyage. ‘Lost in Silence’ est davantage un film où les scènes s’enchaînent sans interruption. Les trois albums suivants sont la confirmation de cette évolution : un programme, la traduction musicale d’un concept.
Cette évolution est sans doute une réaction à la manière dont notre mouvance musicale s’est transformée. A l’heure actuelle, il y a presque autant de musiciens que d’auditeurs. Un ordinateur peut contenir les sources sonores et les ressources techniques nécessaires à l’enregistrement et la production d’un morceau. Les sites de téléchargements débordent littéralement de pièces musicales, y compris dans notre mouvement. Chacun peut faire exister une œuvre, ce qui est une opportunité. Mais voilà, cela va de pair avec un lissage inquiétant de l’imagination et de la créativité. Les sites regorgent de sushis musicaux très faciles à apprécier dans l’instant, avant qu’un autre sushi ne le fasse oublier. Quant à nous, rien ne peut remplacer un repas musical consistant, où l’inventivité n’est pas celle des machines mais de musiciens qui manient des instruments capables de traduire le « sans limites », celui de leur esprit.